Des rives de la Méditerranée à l'Orient, de la Turquie aux sources du Gange, en suivant d'anciennes routes commerciales, parcourues par les caravanes depuis plusieurs millénaires, c'est, autant que possible, à pied que Matthieu et Françoise dérouleront un long chemin. En 2016, le premier mouvement de cette aventure les a conduits d'Istanbul à Téhéran en traversant l'Anatolie, les rivages de la Mer Noire, la Géorgie et l'Arménie. Fin août 2017, repartant de Téhéran, ils gagnent la Mer Caspienne ; puis après un transit rapide du Turkménistan, ils rejoignent l'Ouzbekistan, Boukhara, Samarkand, traversent la Ferghana puis atteignent fin novembre 2017 Bishkek, la capitale kirghize. Début septembre 2018, ils quitteront Och au Kirghizstan pour Irkeshtam d'où ils pénétreront en Chine ; puis après la traversée de la Kunjerab Pass, ils enteront au Pakistan, puis atteindront l'Inde et continueront vers Haridwar, but de leur périple.

mardi 4 décembre 2018

En suivant la route des caravanes dans le nord du Pakistan

Les routes que nous avons suivies sont autant de traces des grandes traversées caravanières entre l’Asie centrale, la province chinoise du Xinjiang et le monde indien.

 En amont de Karimabad, ancienne Baltit, nous longeons un étroit défilé au fond duquel coule la rivière Hunza aux couleurs turquoise et jade.


Aux abords de la ville, la vallée s’élargit et nous découvrons de très gros blocs de rocher couverts de milliers de pétroglyphes. Ceux-ci constituent une véritable page de l'histoire du lieu.

On retrouve ainsi des thèmes chamaniques avec des ibex stylisés, des mouflons de Marco Polo., ....


Sur certaines faces on peut découvrir des graffitis d'anciennes écritures de l'époque du grand roi Ashoka : le Brahmi. Cette écriture proche de l'Araméen aurait été aussi celle des caravaniers. Ceux-ci l’utilisaient pour communiquer par des messages gravés en certains points de leurs routes. Les Sogdiens, qui, plus que sur un territoire, régnaient sur un réseau de villes le long des grandes routes entre l’occident et l’orient, ont notamment laissé de telles inscriptions. Celle-ci, par exemple, « Bōxsāk, fils de Vanxarak, citoyen de Paykand .. », gravée sur un rocher dans le nord du Pakistan fait référence à un marchand de Paykand, actuelle Samarcande.


Toujours en longeant la rivière Hunza, nous avons pu aussi observer sur le versant opposé à notre route des pistes étroites, souvent vertigineuses, taillées à flanc de montagnes. Ces larges tronçons d’anciennes voies caravanières pluri millénaires ont été récemment réhabilitées par le fond de l'Aga Kha, un fond norvégien et les communautés Nagar et Hunza, en témoignage de ce passé



La voie des caravanes dans le nord du Pakistan, nous l’avons suivie de la frontière chinoise à Gilgit, à pied, puis de Gilgit à Taxila en transports locaux. Cette voie d’échange est toujours d’actualité. Elle porte maintenant le nom de Karakorum Highway (KKH). La route a entièrement été financée et construite par la Chine et maintenant, ce sont les produits chinois qui arrivent au Pakistan et les fruits secs et les épices qui partent en Chine.


Au long de ce parcours, on ressent les difficultés qu’ont pu connaître les anciens caravaniers en franchissant de hauts cols et en affrontant des températures extrêmes. On peut aussi s’émerveiller, comme ils ont dû le faire devant les sommets majestueux, dont certains parmi les plus hauts du monde, des cathédrales de Passu, du Rakaposhi ou du Nanga Parbat.




 M atthieu et Françoise


vendredi 30 novembre 2018

Sur la route des pélerins Bouddhistes

La voie de passage des caravanes dans le Karakoram est aussi celle des pèlerins bouddhistes dont beaucoup proviennent du bassin du Tarim.


Le moine Xuanzang (629-644) voyageur et traducteur des anciens sutras bouddhistes et personnage de légende très connu du monde chinois a traversé cette région.

Musée de Pekin
La région du Gandhara qui sera plus tard celle de l'empire Kouchan, est traversée par la route du Katakoram reliant le nord de l'Inde à la Chine.

Près de Gilgit dans le nord du Pakistan, nous sommes allés voir dans un village, une représentation du Bouddha taillée dans le rocher. Celui-ci,i situé au bord d'une rivière, serait un ancien lieu d'accueil pouvant héberger de très nombreux pratiquants. Cette région montagneuse et fraîche, à l'abri des fortes pluies de la mousson, est un lieu propice aux pratiques et rencontres traditionnelles des pèlerins bouddhistes.


Poursuivant notre route le long de l’Indus, fleuve mythique, vers Islamabad et Rawalpindi, nous sommes allés sur l'un des plus anciens sites du monde Bouddhiste : Taxila.



Situé à la croisée des grandes routes caravanières permettant de relier le monde Indien, l'Asie Centrale, la Perse et la Chine. Taxila a été occupé tour à tour par les Achéménides, l'empire Maurya, les Gupta, ... Alexandre l’a conquise en -326 ; mais elle n’est restée que peu de temps grecque.

 Entre le ive siècle av. JC et le IIe siècle, Taxila a attiré des pratiquants et étudiants de l'ensemble du monde bouddhiste ancien. Ashoka y aurait étudié et fait édifier l'une des plus anciennes stupas du monde.


Avec Peshawar, Taxila sera l'une des deux principales villes du Gandhâra, en plein épanouissement entre le Ier et Ve siècle sous l'empire Kouchan.
Située à l'intersection des grands axes commerciaux, et de la présence de la grande plaine du Pendjab, Taxila aura une importance économique et stratégique considérable.



Nous nous sommes imprégnés de l'atmosphère du site d'abord en allant sur les ruines de l'ancienne stupa Dharmarajika. Sa partie visible est datée du 2ème siècle de notre ére, mais elle aurait été construite sur les restes d'une stupa plus ancienne (3ème siécle av. JC).

 Et puis nos pas nous ont conduits sur les traces et alignements d'une ancienne ville, Sirkâp, s'ajoutant à l'étrangeté du lieu.


Dans le musée attenant au site, nous avons été complètement séduits par la statuaire du Gandhara dite "gréco bouddhique" à laquelle il faudrait rajouter au moins l'influence du monde indien, voire aussi celle du monde Perse, avec ses réprésentations du Bouddha sous toutes ses formes.

Plus étonnés encore d'apprendre que tous les codes de la représentation du Bouddha, (les yeux mis clos, posture en méditation, ou bien debout, couché, etc./...) sont nés de cette période et ont été exportés dans toute l'Asie : Ceylan, Chine, Inde, Asie du Sud-est, Japon etc. et toujours et encore reproduites aujourdhui.








Le musée de Lahore, celui de Chandigarh, construit par Le Corbusier au Pendjab indien, sans compter d’autres musées aux quatre coins du monde (British Muse, musée Guimet, ...) sont très riches en œuvre de cette période. On peut vraiment être admiratifs du nombre de ces piéces lèguées par ces fabuleux artistes du Gandhara et de ceux qui les ont soutenus.

Musée de Chandigarh
Il ne faudrait cependant pas limiter l’art du Gandhara au thème de la spiritualité bouddhiste. Dans les ruines de Sirkâp, on peut voir les restes d’un temple du feu zoroastrien ou une statue de la déesse Athena.




Et comment ne pas penser aux agapes grecques ou romaines en voyant ce bas-relief.


Une dernière impression après la visite du musée de Chandigarh. Aucune mention n'y indique clairement l'origine géographique des pièces exposées en provenance pour la plupart du Pakistan (région de Peshawar, vallée du Swat, ou encore dans l'ouest du Pendjab comme à Taxila , etc). Bien que la partition entre le Pakistan et l'Inde ait eu lieu en 1947, les plaies ne semblent manifestement pas refermées...

 Matthieu et Françoise

jeudi 29 novembre 2018

La Perse, encore et toujours ...

Franchir les frontières de l’Iran, ce ne sera jamais quitter le monde Perse. Mèdes, Parthes, Scythes, Sogdiens, ..., ces peuples ont véhiculé dans toute l’Asie Centrale ainsi que dans le sous-continent indien, par le jeu des invasions et des conquêtes, une culture unique et reconnaissable. Souvent, d’ailleurs, l’envahisseur s’imprégnait de la culture du peuple soumis.

 Lors de notre voyage, nous avons pu voir les restes de villes achéménides, passées aux mains des grecs d’Alexandre, des hordes de Tamerlan, ... Margiane, Bactryane, Sogdiane, ... partout les cultures se sont mêlées, celles des conquérants nomades s’enrichissant au contact de celles des peuples sédentarisés depuis plus longtemps.

 Mais partout, ce qui nous frappe, c’est ce rappel de l’Iran.

 Ainsi, comment ne pas penser au mausolée de Oldjaitou quand on visite celui de Baha-Ud-Din-Zakariya. Oldjaitou,descendant de Gengis Khan, était un mongol de la dynastie des Houlagides qui régna sur la Perse du XIIIème au XIVème siècle. Il fit construire, à Soltaniyeh, au sud de Zanjan en Iran, un mausolée pour abriter les restes des deux premiers martyrs des chiites, Ali et Hossein. Ceux-ci ne lui furent jamais cédés aussi décida-t-il que ce mausolée abriterait son tombeau.


Baha-Ud-Din-Zakariya était un Saint soufi du siècle, encore très respecté dans le sous-continent indien. Son mausolée construit au XIIIème siècle se trouve à Multan au Pakistan.


Quand on voit ces céramiques (Multan, Pakistan), comment ne pas se souvenir d’Ispahan ou de Samarcande.



Quant à ces décorations de briques, toujours à Multan, elles nous rappellent les murs des mosquées et médersas de Boukhara.


Mais surtout, c’est par les populations rencontrées que nous avons retrouvé ce monde Perse.

 En quittant le Xinjiang vers la Kunjerab Pass, on quitte les peuples Ouïgours pour les, Tadjiks. Ceux-ci sont majoritaires dans la ville Tachkorgan et dans les villages environnant, la frontière avec le Tadjikistan étant proche.

 On arrive alors dans le pays Hunza, puis sur la rive opposée de la rivière Hunza, on se trouve dans le pays Nagar. Dans cette grande vallée que nous avons longée sur plus de 200 km, Hunzas et Nagars cohabitent avec des Tadjiks.

Femme Hunza à Passu (Pakistan)
Femmes Tadjik à Passu (Pakistan)
D’après Jean-Paul Roux, les Tadjiks seraient des descendants des Sogdiens (Jean-Paul Roux - « Les Sogdiens : une chevalerie raffinée au carrefour des cultures » - 2009 - Clio) qui étaient connus pour former un rouage important sur les grandes routes de commerce jusqu’au VIIème siècle de notre ère. Les Sogdiens qui occupaient, en gros, l’Ouzbekistan actuel, utilisaient un dialecte dérivé du persan. Actuellement, Nagars, Hunzas, Tadjiks parlent tous une langue d’origine perse.

 De tous temps, des relations ont existé entre Perse et Inde. Lors de l’ère achéménide, une partie du sous-continent indien était une satrapie de l’empire perse, en particulier le Pendjab actuel.

 Enfin, à Lahore, le mausolée de Jahangir nous évoque ces dynasties cousines : les Timourides en Iran et les Moghols en Inde, toutes deux descendants de Tamerlan. On parlait, d’ailleurs persan à la cour des empereurs moghols


Enfin, deux jours après avoir quitté Amritsar, nous faisons la rencontre d’une famille Sikh. Yeux bleus pour le père, verts pour le fils ... cette famille se revendique comme persane ; leurs ancêtres sont des Scythes qui vivaient sur la rive orientale de la Mer Caspienne.


Perse, Asie Centrale, Pakistan, Inde ... Où sont les frontières ?

 Matthieu et Françoise


mercredi 21 novembre 2018

Entre Pakistan et Inde, la mise en scène d’une frontière

Le 20 octobre, nous arrivons à la « Wagah border », seul point de passage entre le Pakistan et l’Inde.

 La veille, pour notre dernier jour à Lahore, nous étions allés visiter le tombeau de Jahangir, magnifique exemple de l’architecture moghole de l’Inde. Ce tombeau, bâti par le fils de Jahangir, Shah Jahan, se trouve dans un élégant monument au milieu d’un grand parc.





Dans ce lieu hors des bruits de la ville, nous avions rencontré Toufiq. Apprenant que nous quittions le Pakistan le lendemain, il a proposé de nous conduire à la frontière. Le 20 octobre, sacs bouclés, nous retrouvons donc Toufiq et sa seconde épouse Fatima, une avocate de droit pénal, et partons dans sa voiture au seul point de passage entre le Pakistan et l’Inde


Nous les quittons pour monter dans le petit train qui nous fait faire le dernier kilomètre avant le poste de douane pakistanais.

Les formalités ne sont pas trop longues ; nous assurons tous les officiels que le Pakistan est un beau pays et quittons les bâtiments pour passer le portail par lequel nous entrons en Inde. Regardez bien ce portail car nous vous en reparlerons plus tard.


Du côté indien, tout se fait assez rapidement et après un trajet en taxi, nous arrivons à Amritsar, ville du Pendjab indien qui héberge le temple d’Or, lieu sacré pour les Sikhs.


Construit au XVIème siècle, le Temple d’Or abrite le livre sacré des sikhs. En 1984, Indira Gandhi, alors premier ministre de l’Inde, donna l’ordre à l’armée d’investir le lieu pour déloger des indépendantistes. 500 morts parmi les pèlerins et le lieu saint incendié. Plusieurs mois plus tard Indira Gandhi sera assassinée par ses gardes sikhs. Grâce à une communauté sikhs soudée, le temple a été reconstruit, ses abords ont été aménagés. A l’heure actuelle, en pénétrant dans l’enceinte sacrée, on est gagné par le calme du lieu.


Les pèlerins y affluent. L’atmosphère y est paisible, et la bousculade pour atteindre le cœur du temple au milieu du bassin y reste bon enfant.



Dans un tout autre genre, une attraction particulièrement prisée de tous les touristes est la fermeture de la frontière Indo-pakistanaise au coucher du soleil. Dès le matin, à Amritsar, des rabatteurs attirent les clients vers les rickshaws, les taxis, les bus qui convergeront vers 16h à la frontière. Des deux côtés du grand portail, un amphithéâtre.
 Du côté indien, tel un maître d’hôtel stylé, un militaire compose sa « salle » et envoie touristes, VIP, scolaires, handicapés, ... à leur place. Les amphithéâtres se remplissent : foule colorée et exubérante coté Inde. Dress-code plus discret côté Pakistan.



Nous assistons alors à un bel exemple de chauvinisme, mais un chauvinisme traité avec un certain humour des deux côtés. La chorégraphie martiale est parfaitement rodée et totalement synchronisée de part et d’autre de la frontière.


Du côté indien, l’ambiance est bon enfant et joyeuse. Un immense drapeau fait le tour de la foule.


Avec une bonne humeur et une énergie communicative des femmes s’élancent, oriflammes au vent devant la frontière.


Puis le « spectacle » commence. Arrivée de l’escadron. Notez les ravissantes petites soldates.


Défilé viril de militaires. Attention, c’est physique ! Regardez la vidéo.


 Des bras menaçants sont levés vers le Pakistan.


Et c’est au tour des chiens renifleurs d’explosifs de venir parader sur scène sous les applaudissements nourris du public.


Enfin, le soleil baisse sur l’horizon. Les drapeaux descendent lentement. Ils sont soigneusement pliés. Les fières militaires repartent après avoir fermé le portail entre les deux pays.


Nous quittons l’amphithéâtre, une ambiance de kermesse règne sur la route d’Amritsar.

Matthieu et Françoise