Des rives de la Méditerranée à l'Orient, de la Turquie aux sources du Gange, en suivant d'anciennes routes commerciales, parcourues par les caravanes depuis plusieurs millénaires, c'est, autant que possible, à pied que Matthieu et Françoise dérouleront un long chemin. En 2016, le premier mouvement de cette aventure les a conduits d'Istanbul à Téhéran en traversant l'Anatolie, les rivages de la Mer Noire, la Géorgie et l'Arménie. Fin août 2017, repartant de Téhéran, ils gagnent la Mer Caspienne ; puis après un transit rapide du Turkménistan, ils rejoignent l'Ouzbekistan, Boukhara, Samarkand, traversent la Ferghana puis atteignent fin novembre 2017 Bishkek, la capitale kirghize. Début septembre 2018, ils quitteront Och au Kirghizstan pour Irkeshtam d'où ils pénétreront en Chine ; puis après la traversée de la Kunjerab Pass, ils enteront au Pakistan, puis atteindront l'Inde et continueront vers Haridwar, but de leur périple.

vendredi 21 octobre 2016

Arménie - la vie dans les campagnes

Tout au long de notre marche, des frontières de la Géorgie à celle de l'Iran, nous avons traversé la campagne arménienne. Au milieu d'une nature sauvage, ce qui interpelle, ce sont les grands bâtiments longilignes des anciennes fermes collectives qui sont des scories de l'époque soviétique.


Malgré le peu de terre arable, les villages traversés semblent assez vivants. Entre 1991 et 2003, le pays, en milieu rural, est passé de 26% à 43% de population active. Le PIB du secteur est de 21%. Il y a donc une faible valeur ajoutée. Hormis les grandes plaines arables, comme celles de la région d'Ararat, où dominent les vergers et la viticulture destinée à la production du cognac local, le reste de l'espace rural est dominé par des hautes steppes arides. L'essentiel de la vie se concentre dans les vallées qui sont comme des oasis.
L'accès à l'eau permet une agriculture à faible surplus complétée par les jardins dans les villages oü se concentre la population.




Sur les hauteurs, des élevages de bovins ou de moutons complètent l'organisation rurale.


Partout, on note une carence des services publics : infrastructures, voirie, etc. La collecte des déchets n'étant pas faite, des décharges sauvages offrent une pollution visible, particulièrement marquée dans les cours d'eau.
La quasi absence d'une politique de reboisement accentue l'érosion et la dégradation des sols.
On a pu prendre connaissance (source UNICEF) que les services de l'état civil ne sont pas tenus à jour et que le nombre exact des naissances n'étant pas connu, il ne permet pas la mise en place de services sociaux élémentaires (dimensionnement des écoles, aide aux familles, soins)

Matthieu et Françoise

Quelques aspects de la situation économique en Arménie

Devant une situation économique très dégradée, les enfants d'Arménie sont particulièrement vulnérables. Selon l'UNICEF, pour assurer une bonne éducation à leurs enfants, de nombreuses familles les placent à l'orphelinat ou dans des pensions. Ce phénomène est en constante augmentation. On constate de nombreux abandons au cours de leur scolarité. Ceci frappe plus particulièrement les filles qui, dans de nombreuses communautés, cessent d'aller à l'école après leur huitième année de scolarité, en particulier en milieu rural dont la paupérisation ne cesse de s'accroître.




Si officiellement, le taux de chômage avoisine les 18%, près d'un tiers de la population active en serait effectivement frappée. En Arménie, le revenu mensuel moyen est inférieur à 300€. Mais de nombreuses familles vivent avec des revenus bien inférieurs, en particulier les retraités. On évoque que plus de la moitié de la population vivrait en-dessous du seuil de pauvreté. À titre d'exemple, une manifestation violente est intervenue après une hausse de 16% des tarifs de l'électricité.
L'Arménie, selon un organisme d'évaluation, est classée parmi les pays ayant un très haut niveau de corruption. Un article, d'un hebdomadaire russe, publié en 2013, par le Courrier International, titre "l'Arménie : un pays aux mains des oligarques". Il évoque que 10% de la population vivrait bien contre l'ensemble des 90% du reste de la population. Il a été dit que près d'un arménien sur deux a du mal à s'en sortir. Dans ces conditions, le message de sentiment national qui s'appuie sur le génocide de 1915 et la guerre sans fin du Haut Karabagh, a du mal à éveiller les consciences dans ce pays en souffrance mais si attachant.


La conséquence est la très forte émigration principalement en direction de la Russie, émigration dont les revenus redistribués aux familles participent à près de 28% du PIB. On constate ainsi une forte diminution de la population arménienne. Les projections les plus optimistes pour les 50 prochaines années verraient ses forces vives diminuer d'un tiers.


Cet état de fait à fait dire à un journaliste que l'Arménie est un "pays sans avenir".

Matthieu et Françoise

La route en Arménie sous les caprices de la météo

En partant de France, nous n'avions pas réalisé que la traversée de l'Arménie serait aussi longue. Petit pays certes, mais tout en montagnes, ravins, cols, ... Aux longues steppes désertiques succèdent de profondes gorges que nous franchissons par une suite sans fin d'épingles à cheveux.
Quittant Vedi le 7 octobre, nous entamons la montée à un premier col de 1700 m. Nous traversons quelques villages dont certains paraissent relativement florissants alors que d'autres donnent une image de paupérisation galopante.


Au cœur de l'après-midi, nous sommes happés par une charmante famille qui fêtait le retour d'Europe du père au milieu d'un cimetière où sont enterrés les héros locaux de la guerre du Haut Karabagh. L'alcool coule à flot mais nous déclinons poliment vodka et bière ;  le mouton a été tué, on nous en offre les meilleurs morceaux, bien bardés d'un gras épais ; salades, pommes de terre cuites dans la cendre, gâteaux, bonbons, .... C'est la fête ! Charles Aznavour, le Général de Gaule sous les ordres duquel un grand-père avait combattu, l'amitié franco-arménienne, Marseille, les arméniens d'Alep, etc., alimentent une conversation animée. Matthieu découvre les cigarettes Ararat, qui dans la meilleure tradition russe, développent leur arôme au travers d'un goûteux tube en carton.



Mais le jour avance, nous avons du chemin à faire. Nous prenons congé de nos hôtes et poursuivons notre montée jusqu'à poser notre tente face à un paysage grandiose, zone de pâturage pour les troupeaux. Que peuvent manger ces pauvres bêtes dans une steppe aussi sèche ?



Le lendemain, nous franchissons le col pour traverser ensuite une série de villages au milieu de vergers de pommiers. Les petits marchands le long de la route alourdissent généreusement nos sacs à dos. Croulant sous des kilos de pommes, nous finissons lâchement par éviter de croiser leurs regards.La deuxième nuit sous tente s'est passée dans un verger.
Nous rejoignons ensuite Yeghenazor puis Vaik, deux petites villes qui alignent des barres d'immeubles ternes, restes de l'époque soviétique. Peu d'animation dans ces bourgades.


Soleil éclatant, moral au beau fixe, nous partons bravement pour franchir le deuxième col important (col de Vorotan, 2300m). Nous sommes encore dans une zone de steppe. Au sommet du col, vent et froid. Deux paysans venus pour la journée vendre les produits de leur ferme nous invitent à partager leur pique-nique.




Et le lendemain matin, surprise : la neige était tombée, blanchissant les sommets environnants et frôlant la route devant notre chambre. Quelques beignets de pomme de terre, un café et nous décidons de reprendre la route sous un léger grésil. Le temps est bas, la route est humide, il commence sérieusement à tomber une neige mouillée qui nous gèle les mains. Nous échouons dans une station service en espérant que la situation va s'améliorer. Il nous est impossible de continuer à marcher. Le brouillard et la neige rendent la route trop dangereuse. Aussi nous gagnons Goris dans un taxi.



Goris est une charmante petite ville au creux d'une gorge boisée. Lorsque le soleil est là, les couleurs d'automne sont un vrai régal. Sur un des versants de la vallée se découpent des cheminées de fée. La falaise est truffée de grottes. Goris, anciennement la quatrième ville d'Armenie est proche du théâtre d'opération du Haut-Karabagh. Aussi la présence de mouvements de l'armée arménienne et de militaires en uniformes est visible dans toute l'agglomération. Si on compte officiellement 23000 habitants, la forte émigration, comme dans toute l'Arménie, a affecté la ville qui ne compterait plus maintenant que 10000 habitants. Nous avons été séduits par cette ancienne ville de garnison russe où les petites maisons de pierre et la présence de nombreux petits jardins lui donnent une couleur paisible, presque rurale.




Bénéficiant d'une fenêtre météo favorable, nous en avons profité pour visiter le monastère de Tatev au milieu d'un site fabuleux (voir l'article sur les églises arméniennes).

Deux jours plus tard, il fallait se rendre à l'évidence ; la météo n'était pas avec nous ! 10 cm de neige tombés pendant la nuit, des routes de montagnes étroites et escarpées, nous ne pouvions pas marcher et ne pouvions décidément pas rester à Goris, aussi charmante soit cette ville et confortable notre hôtel. Nous prenons un marshroutka pour descendre à Kapan.


Et le temps s'améliore légèrement, une petite pluie vient remplacer la neige. C'est supportable. La marche devient néanmoins plus fatigante car il est difficile de renouer avec nos pauses mollement allongés sur le sol. Donc nous marchons, atteignons Kadjaran après 10km de brouillard déprimant, repartons le lendemain et grimpons, grimpons, grimpons, ... Nous laissons le brouillard en dessous de nous, nous enchaînons les épingles à cheveux, sommes chaleureusement salués par les chauffeurs des camions iraniens, refusons les propositions de monter dans des voitures, et nous montons jusqu'à découvrir, surpris, que nous venons de franchir un col a 2535 m d'altitude.



Nous sommes à Meghri. Demain, 22 octobre, nous entrerons en Iran.

Matthieu et Françoise

mardi 18 octobre 2016

Monastères d'Arménie

Les nombreux monastères et églises qui parsèment le territoire de l'Arménie remplissent avec bonheur  tout circuit touristique. Les marcheurs que nous sommes n'ont malheureusement pas pu les voir tous.  Ainsi, nous regrettons de n'avoir que vu au loin les restes de l'église de Surp Hovannes (Saint Jean), une des plus vieilles églises d'Arménie, dans le village de Mastara, lors de notre descente de Gyumri.
Notre première rencontre avec une église arménienne s'est faite à Ordu en Turquie ; monument restauré au sein d'un charmant quartier autrefois peuplé par les grecs des rives de la Mer Noire, il n'y était fait aucune référence à son origine. Puis, ce furent, en Géorgie, celles du Javakheti. Toutes ces églises adoptent le même plan cruciforme, de hauts murs surmontés d'une imposante coupole principale. L'intérieur y est sobre, voire austère. Des ouvertures placées haut dans les murs laissent passer des raies de lumière. La nef est précédée d'un narthex important où parfois sont suspendues des cloches (à Tatev, par exemple).



Narthex de l'église de Tatev
Gherart est le premier monastère que nous avons visité. Il est situé à une trentaine de kilomètres de Yerevan et offrait un but bienvenu alors que nous attendions notre visa iranien. Nous l'avons atteint par un savant jeu de taxis, bus, marshroutki (petits bus), et un aller et retour de 5 km de marche dans la vallée de l'Azat, au milieu de vergers de noyers dont la récolte battait son plein. Cet ensemble date des débuts de l'église arménienne et aurait été créé au IVème siècle par Grégoire l'Illuminateur. L'essentiel des bâtiments est du XIIIème siècle. Une église principale, des chapelles creusées dans la roche, des khatshgars, le tout niché dans un creux de vallon boisé.





En quittant Yerevan, nous ne voulions pas manquer le pèlerinage à Khor Virap. C'est à pied que nous nous y sommes rendus. Le monastère est sur une petite colline au centre d'une plaine fertile propice à la culture de la vigne. La marche vers le monastère depuis la route principale offre un spectacle inoubliable, le monastère se détachant sur le Mont Ararat. Ici, nous frôlons la frontière étanche avec la Turquie. Il s'agit, encore, d'un lieu chargé d'histoire pour les arméniens car, c'est ici que, lors des persécutions de chrétiens, Grégoire l'Illuminateur fut  jeté dans une fosse où il survécut pendant 13 ans. Libéré pour avoir guéri son persécuteur, le roi Tridate IV, il convertit celui-ci au christianisme que le roi déclara alors religion d'état. Le monastère a été fondé au VIIème siècle. Il s'est enrichi par la suite d'une université importante. L'église principale, après pillages, tremblements de terre, etc. date, dans sa dernière version du XVIIème siècle. Une petite église est construite au-dessus de la fosse où fut précipité Saint Grégoire. On peut descendre dans cette fosse par une sorte "d'échelle de coupée" aux normes de sécurité discutables.



La Turquie est toute proche ; une clôture nous en sépare. Des miradors sont plantés dans les champs des deux côtés. Arméniens et Russes sont unis pour surveiller la zone. Mêmes plantations, mêmes maisons, ici des églises, en face des mosquées.



Le dernier monastère que nous avons vu en terre arménienne est celui de Tatev à une quarantaine de kilomètres de Goris. La route pour s'y rendre est impressionnante. Nous quittons la zone de steppes, sèche, déclinant toute la gamme des beige, ocre, jaune, paradis des troupeaux de moutons pour franchir la rivière Vorotan puis remonter sur l'autre face de la gorge au milieu d'une forêt dense aux chatoyantes couleurs d'automne. Le monastère est en surplomb de la falaise. Il date des XIème et XIIième siècle. Au XIVème siècle, une université y est édifiée et devient rapidement l'une des plus prestigieuses du pays attirant nombre de savants et théologiens. Fort ébranlé par un important tremblement de terre dans les années 1930, le monastère à fait l'objet de travaux de restauration douteux pendant l'ère soviétique : plancher de l'église remplacé par d'opulentes dalles de marbre qui ne cadrent pas avec l'esprit du lieu, ciment trop liquide, utilisé pour boucher les fissures, et qui, en coulant, a effacé les fresques de l'église, etc. Une restauration sérieuse est en cours et, déjà, le site retrouve de sa vie.





Nous y sommes arrivés un dimanche à l'heure de la messe, dite selon le rite de l'église apostolique arménienne. Une trentaine de fidèles, surtout des femmes. L'office nous rappelle les rites syriaques. Un chœur de jeunes filles résonnait merveilleusement sous l'imposante coupole. Des raies de lumière perçaient l'obscurité de la nef. Les flammes des bougies oscillaient dans l'ombre. Lieu de recueillement mais public confidentiel.



Nous avons pu constater que les églises arméniennes sont relativement peu fréquentées. Néanmoins tout arménien affirmera avec vigueur qu'il est chrétien et que l'Arménie est la plus ancienne nation chrétienne du monde. Il est vrai que l'identité arménienne s'est développée et se maintient par sa culture (et son alphabet) et son enracinement chrétien et ce, au travers de toutes les vicissitudes de son histoire (occupation russe, ottomans, persans, seldjoukides, séfévides, etc.) L'église apostolique arménienne, fondée par Saint Grégoire l'Illuminateur au IVème siècle domine le pays. On dénombre actuellement 8 millions d'arméniens dans le monde relevant de cette obédience. Cette église a été considérée comme schismatique au Vème siècle et rejetée au même titre que les églises orthodoxes, coptes ou syriaques., Le Pape  a reconnu qu'il s'agissait d'une erreur en 1996. Au 18ème siècle s'est développée une église arménienne catholique dont les adeptes se situent particulièrement dans la diaspora mais qui regroupe au sein du pays lui-même environ 250 000 fidèles. Quant à la prédominante église apostolique arménienne, elle tient à conserver son statut spécifique et se montre, paraît-il, très prudente envers un rapprochement avec d'autres églises chrétiennes.
Ici, on ne parle pas de l'Islam. Dire "Inch Allah", expression, pour nous, pratiquement passée dans la langue française, nous vaut une polie mais néanmoins ferme réprimande. L'Islam est assimilé aux voisins Azéris ou turcs et, bien sûr, renvoie aux ottomans et aux persécutions dont les arméniens ont été victimes.


Matthieu et Françoise