Des rives de la Méditerranée à l'Orient, de la Turquie aux sources du Gange, en suivant d'anciennes routes commerciales, parcourues par les caravanes depuis plusieurs millénaires, c'est, autant que possible, à pied que Matthieu et Françoise dérouleront un long chemin. En 2016, le premier mouvement de cette aventure les a conduits d'Istanbul à Téhéran en traversant l'Anatolie, les rivages de la Mer Noire, la Géorgie et l'Arménie. Fin août 2017, repartant de Téhéran, ils gagnent la Mer Caspienne ; puis après un transit rapide du Turkménistan, ils rejoignent l'Ouzbekistan, Boukhara, Samarkand, traversent la Ferghana puis atteignent fin novembre 2017 Bishkek, la capitale kirghize. Début septembre 2018, ils quitteront Och au Kirghizstan pour Irkeshtam d'où ils pénétreront en Chine ; puis après la traversée de la Kunjerab Pass, ils enteront au Pakistan, puis atteindront l'Inde et continueront vers Haridwar, but de leur périple.

mardi 11 octobre 2016

Yerevan, en attente du visa iranien

C'est à Yerevan que nous avions décidé de demander le visa iranien. Nous y sommes arrivés le 30 septembre dans l'après-midi. Nous devions attendre l'ouverture du consulat d'Iran le lundi. Comme dans toutes les villes du monde, après l'effervescence d'un samedi de shopping (pour nous, cette activité s'est limitée à l'achat d'une paire de chaussettes, outil indispensable au marcheur), vient le dimanche qui s'accompagne souvent d'une légère atmosphère d'ennui : les vieux se retrouvent dans les parcs pour des parties animées d'échecs, de Jacquet ou de cartes.


Les adultes traînent dans les rues ou aux terrasses des cafés. Nous en profitons pour visiter la ville, grimpant avec énergie les interminables escaliers de la Cascade (équivalent à 38 étages) au milieu de très belles et imposantes statues. L'effort est récompensé par une vue du Mont Ararat dominant la ville depuis la Turquie toute proche.






La visite du musée d'histoire de l'Arménie est incontournable. On y trouve de remarquables pièces allant du paléolithique à l'âge du bronze, preuves d'une civilisation très avancée dans cette région. Il y est fait également une grande place au Moyen Âge, notamment par une belle exposition de khatshgars, stèles typiques d'Arménie que l'on trouve dans les églises, les cimetières, les bords des routes. On ressent particulièrement dans cette section du musée l'importance de la religion comme ciment de ce pays. L'église arménienne a été fondée par Thaddée et Bartheélemy vers le IVème siècle de notre ère. L'écriture arménienne est un autre lien important de ce petit pays d'à peine plus de 3 millions d'habitants dans ses frontières (mais fort d'une importante diaspora de plus de 10 millions d'arméniens émigrés dans le monde),. L'alphabet créé au Vème siècle par le moine Mesrop Mashtots est toujours en vigueur et, parfois, pour le plus grand désarroi du marcheur occidental, la seule traduction proposée est en russe. Du haut Moyen Âge, on saute ensuite directement au génocide de 1915, puis à l'ère soviétique pour laquelle les pièces ne sont curieusement commentées qu'en arménien et en russe. Que s'est-il passé durant pratiquement 10 siècles reste un mystère pour nous à l'issue de notre visite dans ce grand musée.



Pour les enfants, dimanche, c'est jour de fête. À Yerevan, les parcs abondent pleins de manèges et d'activités pour eux. C'est la joie, on saute sur des trampolines, on prend le petit train qui sinue dans les arbres, on se fait peur, on joue au grand dans sa petite voiture ...







Lundi. Il nous faut nous consacrer à notre visa. Une première marche d'approche le vendredi nous avait amenés à situer le quartier de l'Ambassade d'Iran. Le samedi, après quelques errements, nous finissons par cerner le bâtiment où des horaires étaient indiqués (9:15 - 16:00). Horaires de quoi ? Mystère pour nous car la plaque est écrite en Persan. Le lundi matin, avant 9 heures, nous étions sur zone pensant trouver une longue queue de "clients". Devant nous, juste un turkmène (espèce assez rare de turkmène chrétien, dont l'ambition était d'ouvrir une boucherie dans une banlieue de Sotchi et qui ne connaissait qu'un mot français "irmat", santé en breton !). Notre nouvel ami nous donne plein de conseils. Ainsi, nous apprenons que, si nous n'avions pas d'attestation d'assurance, pièce indispensable au dossier, il nous suffit d'aller au deuxième étage de la maison d'en face et, là, quelqu'un, moyennant 2 euros, nous fait le précieux papier ! Quand reste de soviétisme et pragmatisme oriental se rejoignent ! Nous avions l'attestation ... Dommage, ça aurait pu être une expérience intéressante. 9h15, un employé de l'ambassade, tout souriant et encore endormi (il le sera d'ailleurs à chacune de nos visites) ouvre la porte. Nous passons sous un portique de sécurité inactif, entrons dans la salle, tirons un numéro et attendons. Derrière le guichet, survient une charmante dame, au voile à peine posé sur les cheveux. Elle nous appelle pour nous dire que pour les visas, c'est "after noon", ce que nous interprétons comme "revenez à midi" ... Ce que nous faisons. À midi, quatrième incursion à l'ambassade ... Porte béante (visiblement, le consulat n'est pas une cible d'attaques potentielles !), nous entrons. La même charmante dame nous reconnaît et nous explique patiemment que "after noon", c'est 14 heures. Nous commençons à devenir nerveux. Il nous faut manger, et tiens donc, pourquoi pas boire un verre de vin pour faire tomber la tension. Le temps passe agréablement pour nos papilles. 13h55 de nouveau devant la porte. Nous avons pris nos habitudes, nous entrons, tirons un numéro, attendons. Notre amie arrive. Nous avions tous les documents : photocopies du passeport, attestation d'assurance, liste de villes à visiter, liste d'hôtels (!), photos d'identité (avec foulard pour madame). Nous remplissons un document. Deux solutions : le visa en huit jours pour 40 euros ou disponible le surlendemain pour 75 euros. Le choix a été vite fait. Nous fonçons en taxi au centre ville verser notre obole dans une banque iranienne. Nous remontons en taxi à l'ambassade juste à temps avant la fermeture du service des visas qui ne nous semblait pas vraiment
en surcharge de travail (nous n'avons jamais été plus de 3 quémandeurs). Et là, très institutrice fière de ses élèves, Madame "visa" nous gratifie d'un "you are good !" agrémenté d'un grand sourire. et le mercredi, dernière visite au consulat, nous recevons notre passeport dûment estampillé d'un superbe visa ... Nous réveillons une dernière fois le gardien pour le saluer. Jeudi matin, nous quittons Yerevan pour nous diriger vers l'Iran.



Matthieu et Françoise

Premières impressions d'Arménie

Nous quittons le Javakheti, enclave arménienne en Géorgie et passons la frontière dans un paysage magnifique qui nous laisse entrevoir le Mont Ararat. Nous suivons la route pour descendre jusqu'à Gyumri à 1600 m d'altitude.



Gyumri est la deuxième ville du pays. Au temps de sa splendeur, elle comptait jusqu'à 250 000 habitants. Aujourd'hui, elle en dénombre à peine plus de la moitié après le séisme de 1988. Ce tremblement de terre, qui aurait fait entre 30 000 et 80 000 morts, n'était pas le premier. La médiocrité des constructions d'immeubles de type Brejnévien a fait que ceux-ci n'ont pas résisté aux violentes secousses qui ont détruit la cité. Le centre ville laisse une impression de profond malaise. De notre chambre d'hôtel situé dans la grande artère, nous pouvons voir qu'à l'arrière des maisons de l'avenue, tout le quartier laisse place aux friches et aux débris.


L'immeuble jouxtant notre hôtel sur l'avenue est au trois quart détruit. Sa partie arrière est pour moitié effondrée. La façade avant présente des torsions menaçantes qui capturent le regard des passants que nous sommes, passants qui longent cet immeuble du plus vite possible avec l'espoir fou qu'il ne s'effondre pas sur leur passage.



Aucun étayage ne consolidait le bâtiment. Aucune barrière de sécurité empêchant de le longer. Plus surprenant, des habitants logeaient encore dans les parties qui étaient à peu près debout. Des commerces en occupaient certains rez-de-chaussée, dont curieusement, une pharmacie. Visiblement la situation du logement n'est pas complètement réglée actuellement.
Paradoxalement, à côté de cette situation critique que vit une partie de la population, nous sommes surpris par le nombre de voitures luxueuses, aux vitres fumées, parfois gardées par de gros bras en costumes sombres, le regard caché par des Raybans.


Nous avons eu une conversation en demie-teinte avec un arménien attristé et sans espoir. Il nous a fait comprendre que nous étions chanceux d'avoir une vraie démocratie et qu'il avait un profond sentiment de reconnaissance envers des pays tels que les nôtres qui sont venus avec humanité en aide aux habitants après le séisme, ce que la Russie en état de décomposition suite à l'implosion de l'ex union soviétique n'avait pas pu faire (les soviétiques ont quitté le pays en 1991). Derrière ce sentiment d'une absence de démocratie, nous avons perçu que les arrangements entre amis, s'ils font le bonheur de quelques uns, laissent le plus grand nombre dans le dénuement.
En quittant Gyumri pour Yerevan, la route longe l'aéroport. Nous avons été surpris par la rotation continue d'avions militaires. L'Arménie a signé avec la Russie un accord en 1995, accord revu en 2010, pour un système de défense aérienne de la communauté des états indépendants. Cet accord doit perdurer jusqu'en 2044. La base de la division 102 de Gyumri comprend 5000 hommes et revêt une importance stratégique majeure. Elle est équipée du fameux système de défense russe de type S300 et des avions de chasse Mig29.
Cet état de fait met en évidence les liens profonds qui unissent depuis très longtemps les deux pays.
On peut imaginer aussi que la récente visite du Pape François en juin dernier, à la plus ancienne nation chrétienne du monde, indépendamment du caractère religieux, ait eu également un aspect politique.




L'autre meurtrissure de l'Arménie vient d'un découpage géopolitique impossible. Imaginez un long couloir dont la partie sud à l'est comme à l'ouest est contrôlé par l'Azerbaidjan, pays avec lequel l'Arménie est en guerre depuis près de 30 ans, pays également soutenu par la Turquie qui ferme ses frontières avec l'Arménie par solidarité. En clair, les deux voies de passages sont au nord la Géorgie et au sud l'Iran. La région entière du Haut Karabagh Azen, à plus de 80% arménienne, est actuellement en Azerbaïdjan et y est discriminée dans ses droits. Vous avez ainsi les germes d'un conflit interminable qui a fait plus de 25 000 morts des deux côtés en 30 ans.


Matthieu et Françoise