Des rives de la Méditerranée à l'Orient, de la Turquie aux sources du Gange, en suivant d'anciennes routes commerciales, parcourues par les caravanes depuis plusieurs millénaires, c'est, autant que possible, à pied que Matthieu et Françoise dérouleront un long chemin. En 2016, le premier mouvement de cette aventure les a conduits d'Istanbul à Téhéran en traversant l'Anatolie, les rivages de la Mer Noire, la Géorgie et l'Arménie. Fin août 2017, repartant de Téhéran, ils gagnent la Mer Caspienne ; puis après un transit rapide du Turkménistan, ils rejoignent l'Ouzbekistan, Boukhara, Samarkand, traversent la Ferghana puis atteignent fin novembre 2017 Bishkek, la capitale kirghize. Début septembre 2018, ils quitteront Och au Kirghizstan pour Irkeshtam d'où ils pénétreront en Chine ; puis après la traversée de la Kunjerab Pass, ils enteront au Pakistan, puis atteindront l'Inde et continueront vers Haridwar, but de leur périple.

dimanche 25 septembre 2016

Sur la route en Géorgie

Apres un éprouvant passage de la frontière turque -pagaille, bousculade, invectives, ...-, nous entrons en Géorgie. Le 18 septembre, nous reprenons la route à Batoumi. Depuis cette ville, pendant 5 jours d'affilée, nous avons suivi le cours de la rivière Adzarisckali qu'enjambent en plusieurs endroits de très beaux anciens ponts.


Cette route qui longe la frontière turque est surtout empruntée par de petits transports locaux ou des familles en excursion pour la journée. L'espace de marche est très étroit et notre progression s'avère parfois périlleuse. Heureusement, l'état de cette route souvent défoncée joue en notre faveur ralentissant les véhicules.
Peu de points de ravitaillement et encore moins d'hébergements. Un jeune homme, propre sur lui, souriant et compatissant comme un clergyman, nous a invités à passer la nuit chez lui. Nous acceptons et il nous fait franchir les quelques kilomètres jusqu'à Keda, petite bourgade séparée par la rivière. L'immeuble post soviétique est sommaire. Nous sommes accueillis chaleureusement par 3 jeunes femmes qui deviendront 4 au cours de la soirée. Nous étions tombés devant une communauté locale de témoins de Jéhovah. Derrière un anglais sommaire et une visible exaltation mystique, nous réalisons que le but de ce groupe et de leur leader est de nous catéchiser. Ils se rendent compte rapidement qu'ils se heurtent à plusieurs difficultés difficilement surmontables : langue, âge de leurs cibles, interlocuteurs peu malléables aux tentatives de prosélytisme. Ils finissent très vite par jeter l'éponge après que nous ayons décliné l'élaboration et la prise en commun d'un repas "chrétien". La fatigue d'une marche de plus de 30 km les ayant aussi convaincus que nous avions besoin de sommeil.

Au petit matin, nous les avons quittés et, après avoir refusé plusieurs invitations à partager bière et/ou vodka de professionnels de la route confirmés, nous avons repris notre marche le long de la vallée traversant des paysages de plus en plus grandioses et escarpés. Jusqu'au sommet du col de Goderzi, la progression devient de plus en plus pénible : noria de camions pour la réalisation de plusieurs barrages, très mauvais état de la chaussée, poussière, pentes importantes.




Le deuxième soir, nous arrivons à Shuakhevi, petite ville poussiéreuse surmontée d'une typique église géorgienne. On nous indique un restaurant-hôtel dans le style chasse et tradition. Outre la présence d'une peau d'ours au mur, image qui ferait frémir les protecteurs de la nature, la rusticité du lieu s'exprime dans un mobilier correspondant au goût et à la nature des géorgiens de cette région.


En route (montante) vers Kuhlo, nous croisons des colleurs d'affiches pour l'un des nombreux candidats à une future élection. Alors que nous nous reposions près d'un point d'eau, nous sommes pris d'une affection brutale par un individu buriné à la Cheri-Bibi. Après avoir tenté d'écraser les doigts de Matthieu, dans une solide poignée de mains, il nous dévoile ses tatouages, traces de son passage chez les Spetsnaz en DDR. Gentiment repris par les colleurs d'affiches, il fut invité à cuver son alcoolémie avancée ...


Kuhlo est une petite ville qui restera gravée dans nos esprits. Nous nous sommes attablés en soirée au café du village pour prendre des forces pour la dernière étape conduisant au col. Au menu, poissons sèchés au sel qui nous laissa une soif indélébile pendant deux jours, khinkalis (sorte de raviolis géants peu goûteux mais grands pourvoyeurs de sucres lents), salade et, cadeau de la maison, une sorte de fromage fondu baignant dans un gras bouillon chaud auprès de laquelle la tartiflette est un plat diététique. Au milieu des fumées et du brouhaha des consommateurs de bières et autres alcools, nous avons eu une vision surréaliste : un vieux bus, modèle Zil, de type 4x4 des années soixante, couleur jaune canari ponctué de larges plaques de rouille à l'intérieur duquel il n'y avait que des passagères lesquelles étaient en fait des vaches. Nous vous assurons que nous, nous étions sobres.


Le col de Goderzi se mérite ! La route monte de plus en plus ; peu d'habitations, trafic quasiment nul. On commence à s'essouffler. L'oxygène se raréfie. Il pleut. Il vente. Il fait froid. A 5 km du col, avec plus de 30 km dans les jambes, dans une brume à couper au couteau, au bord de l'épuisement, nous entendons un moteur poussif. Le véhicule de couleur kaki, vieux vestige des années soviétiques progresse lentement jusqu'à nous. Il s'arrête. Il a pitié. Il nous emmène non sans avoir auparavant, car c'est un homme consciencieux, resserré les boulons de ses roues. C'était rassurant. Dans un mélange subtil d'odeurs d'huile et de gasoil, à une vitesse de 10km/h en pointe, Francoise devant et Matthieu sur un sac au milieu de tronçonneuse, jerrican d'essence, chaussures de forestier, etc., nous attaquons "confortablement" les derniers kilomètres. Ensuite, débarqués, après moultes remerciements, nous avons erré dans le blizzard glacial pour trouver l'hôtel traitreusement caché au creux d'un chemin au milieu d'une brume épaisse.





Matthieu et Françoise


Impressions de Tbilissi

Si vous voulez visiter une capitale de charme, ne ratez pas Tbilissi. Entre vestiges de l'ère soviétique et superbes traces d'un riche passé, nous avons été conquis par l'atmosphère de cette ville (nous y avons passé 5 jours en parenthèse sur notre route, venant en bus de Batoumi et y repartant en train). C'est maintenant qu'il faut y aller avant que l'avidité des promoteurs ne transforme les vieux quartiers de la ville en un Disneyland les vidant de leur âme.
Ici, le touriste vient surtout de l'ex bloc de l'est, majoritairement de Russie. On croise également quelques routards occidentaux qui se font passer le grand frisson d'un incursion dans une ancienne ville soviétique. 
La ville s'étend en gros sur deux collines séparées par la rivière Mtkvari que traversent plusieurs ponts dont un audacieux pont piétonnier couvert d'une envolée de plaques de verre.


Dans le vieux Tbilissi, églises orthodoxe ou arménienne, mosquée, synagogue et bains se côtoient toutes bâties avec une belle pierre ocre clair.



Le centre du vieux quartier est joliment restauré avec ses maisons peintes de couleurs douces, aux charmants balcons de bois, serrées sur la colline au pied d'une forteresse. Celliers, restaurants, hostels abondent ; les bars tentent de recréer l'ambiance de la vieille Tbilissi où on buvait du vin dans des cornes ainsi qu'on peut le voir sur un tableau de Pirosmani, célèbre peintre géorgien.



Lorsqu'on s'éloigne du centre, on quitte ce décor d'opérette. Terminés les boutiques de souvenirs, les bars, hostels, restaurants ! Les maisons se font plus grises, les balcons sont délabrés, les évacuations d'eau demandent un peu de maintenance. Les maisons sont souvent distribuées autour de cours où s'organise une vie de petit quartier. 




C'est dans un tel lieu que nous avons logé. "Chez Nako" est une accueillante guesthouse, nichée au fond d'une petite cour. Passé un portail, on se retrouvait au cœur d'une petite vie "communautaire" qui nous est devenue rapidement familière. Petites maisons de briques, quelques appentis, un peu de place pour les voitures, des plantes en pot. Sous un arbre, de vieux sièges de bus accueillent les discussions. Nako et son mari, authentique prince géorgien, sont d'adorables hôtes, généreux pourvoyeurs de thé, vin, douceurs et fruits. Ils ne nous ont pas laissés partir sans nous offrir des cadeaux.



À Tbilissi, nous avons fait une expérience intéressante qui nous a plongés dans ce qui devait être vie courante du temps de l'ère soviétique. Sur les conseils de nos hôtes, nous avons décidé de retourner à Batoumi en train. La veille de notre départ, nous nous renseignons pour savoir où prendre un billet. Deux solutions : via internet, sur un site majoritairement écrit en géorgien ou à la gare. C'était clair, il fallait opter pour la deuxième solution. Restait à trouver la gare. Après quelques croisements d'informations, il suffisait de prendre le métro ... Et ce n'était pas gagné car les stations sont d'une discrétion redoutable. La sortie du métro débouchait sur un petit marché animé qui vendait de tout et n'importe quoi, entouré d'immeubles délabrés. Rien autour de nous ne ressemblait à une gare : pas l'ombre d'un panneau, pas le moindre bruit de train, rien. Suivant un flux d'indications aimablement fournies par des passants, nous nous retrouvons devant un grand centre commercial. Quelque peu interrogatifs, nous nous décidons à y pénétrer. Et bien caché à l'intérieur du hall, les plateformes de départ étaient signalées. Nous étions sur la piste ! Après quelques errements, nous avons fini par trouver les guichets. Au vu de la queue, nous choisissons les bornes automatiques lesquelles ont certainement été programmées par un geek post-soviétique (numéro de passeport, numéro de téléphone, nom, prénom, etc). Enfin nous récupérons nos billets, contents d'avoir pu repérer les lieux. Le lendemain, à l'aube, nous repartons lestés de nos sacs à dos, pour le même circuit ... Enfin presque, si on fait abstraction de sortie de métro fermée, porte de centre commercial hermétiquement close, etc. Mais nous avons vaincu ... Nous avons eu notre train après contrôle du billet et du passeport, bien entendu. En 6 heures, nous avons franchi les 400 km qui nous séparaient de Batoumi d'oú nous reprenions notre route.



Matthieu et Françoise