Des rives de la Méditerranée à l'Orient, de la Turquie aux sources du Gange, en suivant d'anciennes routes commerciales, parcourues par les caravanes depuis plusieurs millénaires, c'est, autant que possible, à pied que Matthieu et Françoise dérouleront un long chemin. En 2016, le premier mouvement de cette aventure les a conduits d'Istanbul à Téhéran en traversant l'Anatolie, les rivages de la Mer Noire, la Géorgie et l'Arménie. Fin août 2017, repartant de Téhéran, ils gagnent la Mer Caspienne ; puis après un transit rapide du Turkménistan, ils rejoignent l'Ouzbekistan, Boukhara, Samarkand, traversent la Ferghana puis atteignent fin novembre 2017 Bishkek, la capitale kirghize. Début septembre 2018, ils quitteront Och au Kirghizstan pour Irkeshtam d'où ils pénétreront en Chine ; puis après la traversée de la Kunjerab Pass, ils enteront au Pakistan, puis atteindront l'Inde et continueront vers Haridwar, but de leur périple.

dimanche 14 août 2016

Sur la route D100

Nous vous avons déjà parlé de la route D100, long ruban d'asphalte qui relie Istanbul à Samsun sur la Mer Noire. Quatre voies au minimum et un trafic qui s'amenuise heureusement un peu en progressant vers l'Est. Excepté pour une petite incursion au sud du lac Sapança, nous suivons cette route depuis notre départ, frileusement serrés tout près de la barrière de sécurité. C'est qu'il faut rester toujours attentif aux accotements traîtres, aux rochers menaçants, aux intempéries, à la neige (OK, en août, il est peu probable que nous dérapions sur une plaque de verglas).

 




Nous obéissons scrupuleusement aux limitations de vitesse.



Après les grandes zones urbaines, Gebze, Körfes, Izmit, nous attaquons un milieu plus à notre dimension avec des passages dans des petites villes charmantes comme Arifyie ou  Çerkes (voir le prochain article), des invitations à boire un thé, à partager un repas ; jusqu'à Ilgas, notre chemin est ponctué de rencontres chaleureuses avec des personnes attachantes.

À partir d'Ilgas, notre vie change. Nous ne voyons que de petits villages perchés dans la montagne, loin de la route. Les hôtels se font rares et le camping s'est imposé plusieurs fois. Nos repas se prennent dans les restaurants impersonnels des stations service. Les contacts avec les habitants de la région sont plus rares.




150 kilomètres de chaumes, ça peut rendre neurasthénique. Les cultures de riz dans le fond de la vallée apportent un peu de lumière mais là encore, on finit par saturer. La flore locale est peu accueillante et la faune nous incite à une certaine méfiance.







Les corbeaux attendent leurs proies



La température avoisine, voire dépasse les 40 degrés et il règne jour et nuit un air étouffant. Nos pieds surchauffés sont douloureux. Nous buvons comme des trous et notre moyenne quotidienne est tombée à 25 km. Les nuits sous la tente ne nous reposent pas vraiment (moustiques, fourmis, étuve sous la toile).



Enfin, hier soir 13 août, nous avons atteint la petite ville de Osmançik. Les cigognes se font plus nombreuses. La pluie qui est tombée cette nuit à fait enfin chuter la température. Les cigognes font la fête.


C'est dimanche. Nous nous octroyons un jour de repos. La ville est agréable. Déployée autour de deux gros rochers, elle est traversée par une grande rivière qu'enjambe un vieux pont ottoman. L'activité principale d'Osmançik semble être le trafic de samovars.


M & F

Çerkes, les circassiens et l'histoire d'une centrale nucléaire

Nous sommes arrivés à Çerkes le 5 août ayant identifié un hébergement possible, certes modeste, mais qui nous évitait les plaisirs d'un bivouac. Nous présentions que les nuits sous tente allaient bientôt se faire nombreuses.
L'accueil dans cette ville est simple, ouvert et souriant et nous n'avons jamais eu le sentiment d'y être étranger. Çerkes allie la présence d'un habitat traditionnel ancien au milieu de constructions récentes. La ville a été l'épicentre du dernier tremblement de terre qui a frappé durement la région en 2000. Les constructions anciennes ont été abandonnées par mesure de sécurité ; néanmoins, elles continuent leur vie, cohabitant avec les nouveaux logements et vivent toujours au sein de la communauté. Ici, on ne les oublie pas et on peut encore voir parfois des traces de vie derrière leurs fenêtres.





Nous avons été vraiment touchés par l'humanité et la joie de vivre de cette communauté. Celles-ci se manifestent partout, dans les cafés aux parties de cartes passionnées où règnent les casquettes traditionnelles des anciens, dans les magasins de la rue centrale du village qui a gardé son architecture traditionnelle avec ses maisons à un étage ayant été moins touchées par le séisme.



Les jeunes sont présents surtout autour du café internet. Celui-ci occupe un ancien corps de ferme et on peut ainsi y clavioter au milieu d'odeurs d'étable et de paille. Pendant que Françoise usinait sur son clavier, Matthieu tchatchait avec la belle jeunesse locale. Il ne faut pas croire qu'il avait la meilleure place car lui qui ne connaît rien au foot a été abondamment interviewé sur les performances du PSG et de Slatan Ibrahimovitch. Mais avec thé et biscuits, les éclats de rire et les sourires bienveillants pour les voyageurs du 3ème âge, tout est facile.

Plusieurs faits nous ont interpelés dans cette ville: son nom, la date de sa fondation et les yeux très clairs de nombreux de ses habitants.






 Çerkes est le nom en turc des Tcherkesses (Circassiens). Les jeunes sont fiers de cette identité. Cette petite ville d'Anatolie centrale a été fondée, d'après les armes de la commune, en 1870, soit quelques années après le génocide des Circassiens sous l'ère du tsar Alexandre II. 800 000 personnes ont été massacrées et un million ont été condamnés à un exode. 200 000 d'entre eux périront de privations et d'épuisement. À la différence du génocide Arménien , celui-ci a sombré dans l'oubli de l'histoire. L'essentiel de ce peuple montagnard et des groupes tribaux qui le composent (Adyguéens ou Tcherkesses) a été accueilli par les Ottomans et reparti dans tout l'empire. La réputation de farouches guerriers à l'éducation spartiate, souvent mercenaires dans les armées voisines, a certainement été un point clé pour leur intégration. DH Laurence mieux connu sous le nom de Lawrence d'Arabie, immortalisé par le film de David Lean, en fait état dans son livre "Les sept piliers de la sagesse". Si on les retrouve en Syrie où ils étaient encore 100 000 en 2012 ainsi qu'en Jordanie et au Liban, la majeure partie de la diaspora, soit 2 000 000  se retrouve actuellement en Turquie dans la région de Düzce à Samsun.

Le site de Çerkes a été évoqué lors de la finalisation du projet de centrale nucléaire "Sinop" dont la mise en œuvre sera conduite par un consortium réunissant Areva et Mitsubishi. Les écologistes ont fait état en 2012 de la dangerosité du projet due à la forte activité sismique de la région. Le contrat a été signé en 2015. C'est maintenant une affaire à suivre ...

M & F